La nouvelle pourrait faire l’effet d’une bombe et se répandre ensuite comme une onde de choc, jusque dans les prétoires : selon plusieurs juristes tout à fait sérieux, les commerçants interdits d’ouverture suite aux mesures anti-coronavirus auraient tout à fait le droit de cesser de payer leur loyer.
Depuis le début de la crise du coronavirus, cette règle de base résonnait comme une antienne : pendant la durée du confinement imposé par le gouvernement, les loyers des commerces obligés de fermer leurs portes resteraient bien dus, nous expliquait-on, sous peine de résiliation du contrat, d’exécution forcée, de dommages, intérêts et autres foudres juridiques.
De grandes enseignes l’ont fait
Pourtant, c’est La Libre qui révèle cette information, nombre de grandes enseignes (H&M, Hema, Burger King) n’ont pas hésité à envoyer un courrier à leurs propriétaires respectifs en leur annonçant tout bonnement la cessation provisoire du payement de leur loyer.
Leurs arguments juridiques ? S’appuyant sur l’avis de plusieurs juristes, ils estiment que, dans le cas précis du lockdown, si le commerçant ne peut plus jouir du bien loué ce n’est pas tant la faute du gouvernement que la faute… du propriétaire.
Qui est concerné ?
Commençons par préciser, pour une parfaite clarté, qu’on ne parle ici ni des commerces qui restent ouverts, ni des bureaux, des entrepôts ou des logements, mais bien uniquement des commerces obligés de fermer suite aux décisions du gouvernement.
Quel est le raisonnement ? Il tient en une phrase : le lockdown n’est pas un cas de force majeure. Toute l’argumentation s’appuie sur le fait que l’obligation essentielle du bailleur est de fournir la jouissance des lieux loués à son locataire. En d’autres termes, le preneur n’a le droit de jouir de la chose qu’à travers la personne du bailleur.
Jouissance des lieux et destination convenue
Or, dans le cas d’une fermeture imposée par un arrêté ministériel, ce n’est pas tant le locataire qui est dans l’impossibilité de jouir de l’immeuble qu’il loue mais bien le bailleur qui est dans l’impossibilité de fournir à son locataire la jouissance des lieux conformément à la destination convenue.
« Nous ne sommes pas face à un preneur qui est empêché de jouir du bien loué à la suite d’un cas de force majeure qui lui est personnel (par exemple sa maladie). Ce n’est pas davantage une interdiction imposée au (seul) preneur en raison de sa situation personnelle parce que, par exemple, il ne disposerait pas d’une autorisation requise par une législation (…) pour exploiter son bien loué », explique Mathieu Higny, avocat, collaborateur scientifique au Centre de droit privé de l’UCLouvain, qui a écrit un article très commenté à ce propos.
Bien entendu, en l’espèce, le bailleur lui-même se voit interdire de fournir la jouissance des lieux loués. Mais pour l’auteur de l’article, la fermeture évoquée dans le texte de l’arrêté vise des « commerces », des « magasins », des « établissements », autrement dit… l’immeuble donné en location. Et non les activités réalisées par le locataire (la vente de vêtements par exemple).
« (La) destination (du magasin) est de vendre des vêtements au public qui se présente dans les lieux loués, pas de se limiter à du stockage », ajoute l’avocat.
La force majeure ne s’applique pas
Bref, dans le cadre de la pandémie actuelle et de l’interdiction des rassemblements, la force majeure n’intervenant pas, c’est la théorie des risques qui s’applique. En d’autres termes, il faut considérer que le bien est temporairement impropre à la location. Et donc que c’est le bailleur qui ne peut, en définitive, mettre un immeuble qui correspond à sa destination à disposition du locataire.
Soyons clair : personne n’est ici responsable de la situation. Ni le locataire, ni le propriétaire. Mais selon la théorie des risques, c’est au bailleur et non au locataire d’assumer la fermeture.
Le locataire étant alors “libéré temporairement de l’exécution de ses propres obligations contractuelles, dont le payement du loyer et des charges ».
Le silence du gouvernement
Le gouvernement belge n’a fait aucune recommandation à ce propos. Mais comme le craignent plusieurs commerçants, il serait particulièrement regrettable que les aides apportées par l’état pour soutenir le secteur du commerce ou de la restauration soient, in fine, détournées au profit des bailleurs.
Pour être un peu plus nuancé, on pourrait considérer que si le locataire a perçu une indemnité de l’Etat pour couvrir (partiellement) son préjudice relatif à l’arrêt de ses activités, le bailleur pourrait réclamer au preneur la part d’indemnité qui couvre précisément le préjudice lié à la fermeture de l’établissement. Une poire coupée en deux, en quelque sorte.
Ce qui est sûr, c’est que si en s’appuyant sur cette théorie du risque, les locataires arrivent à convaincre leurs propriétaires et à cesser le paiement de leur loyer, on évitera de nombreuses faillites.